+Introduction à l'ordinateur quantique





1. Les bits
2. Les qubits
3. L'entremêlement
4. La superposition
5. Les applications


1. Les bits


Commençons par rappeler qu'un ordinateur classique mémorise toutes choses en utilisant des "bits". Un bit est toujours exactement à 0 ou exactement à 1. C'est l'un ou l'autre !

Une pièce de monnaie est un très bon bit : Face elle est à 1, pile elle est à 0.

Par exemple, un ordinateur classique peut utiliser 8 bits pour mémoriser des nombres entre -128 et +127. Les 8 bits ci-dessous expriment le nombre +5 :

00000101


Libre à vous de prendre huit pièces de monnaie, de les aligner sur une table et de les mettre toutes à pile sauf deux :


Images de 8 pieces de 1 euro formant 00000101



Comment savoir que  0000000101  veut dire +5 ? Et bien regardez le tableau ci-dessous :

n° de bit :
7
6
5
4
3
2
1
0
poids :
 +/-
  64   32   16    8    4
   2
   1
exemple :
0
0
0
0
0
1
0
1

En effet : 4 + 1 = 5


Voici comment le nombre -2 est représenté :

11111110

Il est inutile d'étudier en détail ce nombre -2. Le seul élément intéressant est de savoir que le bit tout à gauche, le n° 7, indique si le nombre est positif ou négatif. S'il est à "1", cela veut dire qu'il est négatif.

Tout ordinateur bien né contient un circuit électronique qui fait des additions. Si on envoie dans ce circuit électronique les deux nombres  00000101  et  11111110  le résultat de l'addition sera ceci :

00000011

Ce qui veut dire +3.

En effet :  -2  +  5  =  3


Notez une chose importante : dans l'additionneur, les bits ont une influence les uns sur les autres. Prenons par exemple l'addition de +61 et de +2, le résultat est +63 :

  00111101
+ 00000010
----------
= 00111111

Faisons la même addition, mais avec +3 à la place de +2. Notez, primo, que la différence entre +2 et +3 est juste le bit n° 0 à l'extrême droite. Secundo, cette modification à l'extrême droite a des effets sur les bits du résultat à gauche :

  00111101
+ 00000011
----------
= 01000000

Donc, lors de l'addition tous les bits sont plus ou moins liés entre eux.

Mais, une fois l'addition terminée, les bits du résultats redeviennent indépendants. Si avec un rayon laser vous modifiez méchamment un des bits, les autres s'en fichent. Pour reprendre l'exemple des pièces de monnaie sur la table : libre à vous de retourner une des huit pièces...



2. Les qubits


Voyons maintenant le fonctionnement d'un ordinateur quantique. Il travaille avec des "qubits". Qu'est-ce qu'un qubit ? Un qubit ne contient pas exactement 0 et il ne contient pas exactement 1... Il contient un peu les deux à la fois...

Vous pouvez comparer cela à une pièce de monnaie qui roule. Elle tombera peut-être du côté pile, peut-être du côté face ; peut-être 0, peut-être 1... Pendant qu'elle roule elle montre les deux côtés à la fois...

Il peut sembler idiot d'utiliser un machin qui hésite perpétuellement entre 0 et 1. Pour éclaircir la situation il faut préciser deux choses :
Un qubit est donc un machin qui hésite perpétuellement entre 0 et 1 mais qui a plus de chances de choisir l'un que l'autre. C'est cela que le qubit mémorise : la probabilité qu'il se résorbe vers 0 (et donc inversement la probabilité qu'il se résorbe vers 1).

Bien entendu un qubit peut avoir une probabilité de 100% de choisir 1 et donc 0% de choisir 0. Ou inversement. Dans ce cas il est comme un bit normal.

Il y a deux "problèmes" avec un qubit :

En résumé :


3. L'entremêlement


Faisons un calcul digne d'un ordinateur quantique : tirons une racine carrée. L'intérêt de la racine carrée est qu'elle a deux résultats valides. Par exemple la racine carrée de 9 est autant +3 que -3.


Voici +9 en binaire :

00001001


Voici +3 :

00000011


Et voici -3 :

11111101


Si on envoie 00001001 dans l'extracteur quantique de racine carrée, il va en sortir 8 qubits "en suspens" :

0?1 0?1 0?1 0?1 0?1 0?1 0?1 0?1

La dernière étape, obligatoire si on veut afficher un résultat, consiste à les résorber. C'est à dire forcer les qubits à choisir. Nous savons qu'ils sont sensés choisir entre +3 et -3.

La seule chose dont nous sommes sûr est que le qubit de droite choisira 1. C'est forcé : dans +3 et dans -3 le bit de droite vaut 1. La probabilité de ce qubit de basculer vers 1 est de 100%.

Mais les autres ? A priori il y a un problème... ils ont tous les 7 une probabilité égale de basculer vers 0 et de basculer vers 1... C'est 50% - 50%. Alors on pourrait obtenir ceci :

01010101


Ou ceci :

10101011


Ou ceci :

11011001


Ou encore ceci :

00010111


Même ceci serait possible :

00000001


Ou ceci :

11111111


Sommes-toute n'importe quoi qui se termine par 1...


Et bien non ! Parce que les qubits sont quantiquement entremêlés. Soit ils passent tous ensemble à :

00000011


soit ils passent tous ensemble à :

11111101


Et point à la ligne ! +3 ou -3, rien d'autre !

Quelque chose les relie, qui les force à prendre collectivement un de ces deux états groupés "corrects". On ne sait pas comment fonctionne ce lien...

Même des qubits qui ont interagit il y a plusieurs minutes, qui se trouvent maintenant stockés loin les uns des autres, restent entremêlés. Leur comportement reste collectif. Quand on forcera leur résorption, une sorte de magie fera qu'ils adopteront un choix commun cohérent.

Un des challenges des chercheurs qui développent les ordinateurs quantiques est de faire durer l'entremêlement le plus longtemps possible, afin de pouvoir en profiter au mieux pour des calculs longs et complexes.

Vous aurez probablement envie de poser une question très importante : si on force un des qubits à se résorber vers une valeur disons de 1, est-ce que les autres qubits vont faire leur résorption en cohérence avec lui ? Malheureusement, on ne peut pas forcer le choix lors de la résorption d'un qubit... Il faut le laisser choisir, en accord avec les autres qubits. On peut décider du moment de la résorption mais pas de son résultat.

Pour reprendre l'exemple des huit pièces de monnaie, disons que ce qui sort de l'extracteur de racine carrée sont huit pièces en train de rouler. Vous pouvez les guider vers des tobogans ou des roues de hamster et les laisser rouler longtemps. Au moment où vous l'aurez décidé, vous prenez une latte en bois et l'utilisez pour arrêter les pièces. Elles tombent toutes sur pile ou sur face. Quelle que soit la façon dont elles sont tombées ; en faisant des zig zag ou non, une chose est sûr : elles tomberont ensemble sur   00000011  ou ensemble sur  11111101. Vous aurez beau essayer de comprendre pourquoi, vous ne trouverez pas. Evidemment de vraies pièces de monnaies ne se comportent pas ainsi. Mais des particules quantiques, si.



4. La superposition


On peut dire que les 8 qubits à la sorte de l'extracteur de racine carrée contiennent deux états superposés : -3 et +3. De la sorte, des qubits peuvent superposer un grand nombre d'états. C'est la magie du calcul quantique...

Par exemple vous pouvez additionner +22 à ces 8 qubits. Alors maintenant ils contiennent les états superposés +19 et +25. Supposons que vous les repassez dans l'extracteur de racine carrée... A la sortie ils seront la superposition des quatre états suivants : -5, -4, +4 et +5. En effet, +5 et -5 sont des racines carrées de 25 et +4 et -4 sont des racines carrées acceptables de 19.

Et ainsi de suite... Les qubits superposent leurs états et restent liés/entremêlés quels que soient les calculs et les aiguillages que vous leur faites faire.

Utilisons les 8 qubits qui contiennent -3 et +3 et nommons-les "A". Utilisons ces 8 qubits "A" pour faire deux opérations. La première opération consiste à leur ajouter le nombre +1. Le résultat est -2 et +4. Nous stockons ce résultat dans 8 autres qubits, nommés B. Reprenons les mêmes qubits A (contenant -3 et +3) et ajoutons-leur le nombre +100. Le résultat est +97 et +103. Nous stockons ce deuxième résultat dans 8 nouveaux qubits, nommés C. Que se passera-t-il lors de la résorption de A, B et C ? Il n'y a que deux possibilités. La première est que A se résorbe à -3, B à -2 et C à +97. La deuxième est que A se résorbe à +3, B à +4 et C à +103. Les contenus de A, B et C restent "cohérents".



5. Les applications


Ces propriétés des qubits sont parfois un gros avantage sur les bits, parfois un gros handicap. Donc, suivant le type de calculs que l'on veut faire, il est plus intéressant d'utiliser un ordinateur classique ou un ordinateur quantique.

Actuellement, aucun ordinateur quantique n'est capable de faire des calculs complexes. On utilise donc toujours des ordinateurs classiques. Quand on fait de la programmation quantique, c'est sur un ordinateur classique qui mime le fonctionnement d'un ordinateur quantique.

Les chercheurs en intelligence artificielle attendent les ordinateurs quantiques avec impatience. Ils sont bloqués par les ordinateurs classiques. Quand on soumet un problème d'intelligence à un ordinateur classique, il y a trop de possibilités à tester. Soit l'ordinateur n'est pas assez rapide, soit il n'a pas assez de mémoire, soit il n'arrive pas à transférer les données assez vite entre ses différentes parties. Dans un ordinateur quantique, par contre, vous pouvez traiter un grand nombre de données et d'hypothèses en même temps, dans très peu de mémoire. Pendant toutes les opérations ; les modifications, malaxage et évolution des données, grâce à l'entremêlement toutes les données restent cohérentes entre elles, tout en pouvant envisager des hypothèses opposées en même temps. Il n'y a qu'un seul inconvénient : à la fin des calculs, la résorption ne pourra produire qu'un seul résultat. Même si les qubits contenaient une superposition de deux, trois ou même dix très bons résultats, vous n'en connaîtrez qu'un seul, choisi au hasard. Si vous voulez connaître les autres résultats possibles, il faut relancer les mêmes calculs et faire chaque fois la résorption à la fin des calculs, autant de fois que nécessaire pour que tous les cas de figure finissent par sortir. Vous pouvez comparer cela avec le fonctionnement de votre propre cerveau. Quand vous cherchez une idée, au bout d'un certain temps vous ne savez plus très bien à quoi vous pensez. Des idées contradictoires vous traversent l'esprit... Enfin, vous aurez une idée lumineuse. Si vous recommencez la même réflexion le lendemain, vous aurez peut-être une autre idée, différente.

Certaines personnes ont un peu peur de l'arrivée de ordinateurs quantiques. Quand on envoie un message crypté à un partenaire, on utilise une clé de cryptage. Si un espion intercepte le message et s'il a la clé de cryptage, il peut décoder le message. Supposons que l'espion ne connaît pas la clé de cryptage... Ce qu'il peut alors faire, c'est essayer toutes les clés possibles. Tout dépend de la longueur de la clé. Si la longueur de la clé est courte, l'espion devra essayer peu de clés différentes et il trouvera très vite la bonne. Si la clé est plus longue, il devra essayer beaucoup plus de clés avant de trouver la bonne. C'est une question de temps : il faut attendre que des ordinateurs plus puissants soient disponibles. Dans certains pays on oblige les entreprises à utiliser des clés qui ont juste la bonne longueur : trop longues pour que leurs concurrents puissent les décoder mais assez courtes pour que les super-ordinateurs du gouvernement puissent les décoder. Donc, un message que vous avez envoyé ne peut pas être décodé tout de suite par votre concurrent mais il pourra être décodé dans disons 10 ans, quand le concurrent aura pu acheter des ordinateurs plus puissants. Vous avez droit à 10 ans de secret... Certaines personnes sont arrivées à la conclusion que si elles utilisaient des clés vraiment très longues, il faudrait des siècles avant qu'un ordinateur soit capable de décoder leurs messages. Elles se sont donc senties en sécurité. Oui mais... si on réussit à mettre les ordinateurs quantiques au point, on jouera sur leur capacités et on arrivera peut-être à décrypter ces messages dans seulement quelques années...

Réciproquement, les qubits pourraient permettre de transmettre des informations de façon totalement inviolable. Il serait physiquement impossible à un espion d'intercepter un message envoyé sous forme de qubits.



Eric Brasseur  -  1 novembre 2006 au  13 novembre 2006       [ Accueil | eric.brasseur@gmail.com ]