Il n'existe pas de définition stricte du bouddhisme. Le présent texte
est simplement un énoncé de ma compréhension du bouddhisme.
Le Bouddha n'est pas
considéré comme un dieu ni même comme un messager divin. Siddharta
Gautama, qui prête son image et son enseignement comme base de la
définition du Bouddha, est
un humain comme vous et moi. Il est le symbole d'un principe, d'une
chose
qui ne peut être atteinte mais que l'on se doit de tenter d'ébaucher
par
des définitions pratiques.
Le bouddhisme est une religion en ce sens qu'il définit "une voie de
salut". C'est à dire un chemin vers le Paradis. D'après le bouddhisme
un individu est condamné à mourir et à revenir sur Terre le nombre de
fois qu'il faudra jusqu'à ce qu'il ait atteint le niveau spirituel
nécessaire pour s'extraire de la vie terrestre. Chaque fois qu'il meurt
il se réincarne dans un individu différent. S'il n'a pas bien travaillé
son bouddhisme, à sa réincarnation suivante il sera un être plus vil,
peut-être même un animal voire un animal répugnant. En quelque sorte on
lui fait recommencer son année une classe plus bas. Par contre s'il a
bien travaillé il passera dans la vie suivante à un niveau plus élevé.
Le "néo-bouddhisme" moderne se départ de cela et ne s'intéresse qu'aux
aspects philosophiques, sociaux et intellectuels du bouddhisme. La
réincarnation est alors plutôt considérée comme une métaphore du lent
apprentissage et de l'éveil de chaque individu, avec ses erreurs et ses
succès au fil du temps et des progrès.
Le bouddhisme est un édifice imposant. A l'heure
actuelle, les chercheurs les plus avancés en psychologie et
sciences humaines redécouvrent des choses qui font partie du
bouddhisme depuis des siècles.
Le bouddhisme ne prône pas un standard, une référence. Le
Bouddha lui-même a dit "Ne cherchez pas à faire comme moi". Le
bouddhisme, c'est avant tout le développement de chaque
personne en particulier. Etre bouddhiste, c'est d'abord être
soi-même.
Beaucoup de religions sont très dogmatiques. Etudier la
religion revient à potasser et ressasser ses dogmes. Le
bouddhisme, au contraire, est né lorsque des personnes ont
décidé de quitter leur enclos et se sont mis à observer le
Monde autour d'eux. Le bouddhisme est né de la symbiose d'une
grande force spirituelle et de l'observation humble de la
Nature.
Le précepte le plus fondamental du bouddhisme est sans doute
celui-ci : évoluez. En effet, les mauvaises choses
viennent de personnes qui sont restées bloquées à un stade
donné de leur évolution et persistent à voir les choses d'une
certaine façon. Un adepte du bouddhisme se doit de
perpétuellement se remettre en question, apprendre de nouvelles
choses, voir les choses sous d'autres angles, s'adapter. Chacun
a énormément de choses à apprendre dont il ne soupçonne parfois
même pas l'existence. Cela demande du travail et de la sueur. Il faut
enterrer ce que l'on était, même s'il en coûte, pour renaître meilleur,
mieux adapté
à la réalité et aux autres.
Un des enseignements que l'on peut tirer du bouddhisme est
que pour changer une personne il faut lui apprendre les
choses nécessaires pour qu'elle puisse se comporter
différemment. C'est un travail bien plus long et compliqué que
de se contenter de faire des reproches ou de faire preuve d'une
patience stérile.
Chez les bouddhistes, la douleur est un signe de manque
de maturité, d'inadaptation. La douleur ne doit pas être
refoulée ou masquée par des artifices. Au contraire, elle doit
être prise en compte, étudiée. Elle disparaîtra quand la
personne aura évolué. La douleur n'est pas non plus considérée
comme un passage obligatoire. La prévention est la meilleure
politique. (Certaines écoles bouddhistes, par exemple d'arts
martiaux, utilisent la douleur comme outil d'endurcissement.
Mais il s'agit alors d'une pratique structurée, à laquelle les
élèves ont librement consenti.)
Le bouddhisme explique qu'une personne qui
n'est pas instruite, une personne qui n'a pas eu une certaine
évolution spirituelle, sera condamnée à souffrir dans la vie.
Elle ira de problèmes en problèmes, sera victime de toutes les
situations et engendrera des problèmes pour les autres. Mais
contrairement à d'autres religions le bouddhisme ne considère
jamais un cas comme désespéré. Il apporte nombre de conseils,
voies, anecdotes, légendes, supports de méditation, symboles... qui
permettent de retrouver la voie de la spiritualité.
Les bouddhistes n'étant pas des refoulés, ce sont donc
généralement des personnes fiables. Ils n'ont pas un tissus de
frustrations dans la tête qui pourrait les amener à poser des
actes déplacés ou impulsifs. Le fait qu'un bouddhiste ne
refoule pas ses émotions ne veut pas pour autant dire qu'il
cède systématiquement à ses pulsions : il est à l'écoute
attentive de toutes les émotions et pulsions qui naissent en
lui, mais il les gères en se servant de son coeur et de sa
raison. Il ne passera à l'acte que s'il y a lieu de le faire.
Les pulsions qui ne peuvent être assouvies seront "classées
sans suite" de façon judicieuse et propre.
Comme il n'est pas toujours possible de prendre le temps
de réfléchir, les bouddhistes veillent à cultiver leurs
réflexes. Un exemple simple : les arts martiaux. On y apprend à
avoir instantanément les bons gestes. On y apprend aussi à
développer son intuition, savoir percevoir un grand nombre de
petites informations fluettes et en tirer des conclusions. Lors
d'un combat avec les yeux bandés, on détermine la position et
les gestes de l'adversaire en utilisant le son de chaque
bruissement de tissus, chaque bruit de respiration. Sans
réfléchir, on "voit" l'adversaire. Des études modernes ont
montré à quel point ces mécanismes sont puissants : ces bruits
sont trop faibles pour être entendus consciemment, mais le
cervelet, partie primitive et très rapide du cerveau, les
perçoit tout de même et les utilises pour fabriquer une image
de la position de l'ennemi. Ensuite, cette image est transmise
à la partie évoluée, consciente, du cerveau. Ni le combattant
aux yeux bandés, ni un spectateur éventuel, n'entendent le
moindre bruit, mais pourtant le combattant "voit" son
adversaire. Imaginez ce que cela donne si on aborde de la même
façon la vie dans la nature ou la communion avec les autres
êtres humains ! (On tend à conférer cette aptitude aux
ordinateurs par l'intermédiaire des systèmes à réseaux de
neurones.)
Le sourire du Bouddha, que vous avez certainement déjà vu
sur une statue ou une image, est l'équivalent du mot "Islam" en
arabe : la paix, l'harmonie, la sagesse, l'intelligence. Peu
importe qui la statue représente, ce qui compte, c'est son
sourire, l'évocation de cet état d'esprit.
Les religions vous disent que toute chose est l'oeuvre de
Dieu et que Dieu est en toute chose. Le bouddhisme ne vous dira
pas que c'est faux. D'ailleurs même les athées considèrent que
les religions ont raison, si l'on part du principe que "Dieu"
est une façon générale de parler de "La Vie". Mais le
bouddhisme, pragmatique, vous recommande et vous apprend
à aller plus loin, à voir chaque chose telle qu'elle est. La
belle jeune fille est peut-être en réalité une mangeuse
d'hommes qui vous ruinera... Ce quasimodo dans son coin est
peut-être la seule personne qui vous aiderait si vous tombez
malade... Le "troisième oeil" voit les choses telles qu'elles
sont, au delà des apparences.
Le système occidental pratique le culte du but. "Il faut
se fixer des objectifs", disent ils. Une des conséquences est
que certaines personnes vont vouloir raccourcir le chemin qui
mène au but, au point de bâcler le travail ou recourir à des
pratiques malhonnêtes. Le bouddhisme au contraire se réfère
plutôt à l'action, "être en train de faire". C'est le
présent qui compte, le fait qu'on y est bien et qu'on y mène
des actions sensées. "Un long voyage commence par un premier
pas". Un bouddhiste sait tirer parti des étapes intermédiaires
d'un travail, voire n'envisage pas de fin à son travail. Les
occidentaux abusent du proverbe "vise plus haut que la cible,
la flèche tombe en volant". Ils se fixent des objectifs
inatteignables pour en fin de compte ne rien faire. Un
bouddhiste, au contraire, envisage aussi le bénéfice qu'il peut
tirer d'un résultat éventuellement différent de ce qui était
initialement prévu.
Les textes sacrés des religions contiennent beaucoup de
préceptes très précis. Trop précis. Il faut avoir un certain
niveau pour arriver à se détacher de ces préceptes et plutôt
percevoir un état d'esprit. Les textes bouddhistes, au
contraire, pratiquent avec génie le paradoxe et le non-sens.
Ils sont beaucoup plus rigolos et permettent d'aller plus loin.
Il existe bien sûr des textes bouddhistes qui disent
clairement les choses, mais ils n'ont pas structure de loi. Le
bouddhisme de base fournit une liste de "choses qu'il faut
apprendre à ne pas faire", mais cette liste est une mise en
garde constructive et non un commandement.
Dans beaucoup de religions, la méditation est résumée à
la notion de "prière". Le bouddhisme au contraire est ouvert à
l'infini potentiel du champ de la conscience et de
l'inconscient. Il en résulte une liberté plus grande de
l'individu et une construction de la personnalité plus solide.
Vous avez sans doute déjà remarqué que les religions sont
parfois un peu opposée à ce qui est "logique". Les religieux
parlent de "pièges de la logique" et "l'importance de
l'irrationnel". Chez les
bouddhistes c'est tout le contraire : ils adorent la logique.
Ils la cultivent comme un art. Les moines bouddhistes se
livrent entre eux à des joutes de logique. Discuter avec un
bouddhiste est un plaisir d'intelligence et d'honnêteté
intellectuelle.
Les religions ont tendance à proposer une "norme" qui
correspond à l'état d'esprit de ses fondateurs. Ils disent ce
qui est bien et en quelle quantité. Les bouddhistes préfèrent
expliquer que toute chose est bonne, et son contraire.
L'important est d'être en mesure de déterminer ce qu'il est bon
de faire suivant les circonstances qui se présentent. Par
exemple un bouddhiste ne prône ni le pacifisme ni la guerre,
mais il apprend à être un pacifiste et il apprend à être un
guerrier. Etre un pacifiste fera de lui un guerrier redoutable.
Etre un guerrier fera de lui un pacifiste convaincu.
Le Bouddha enseigne la voie du milieu. Aucune chose n'est
spécifiquement mal ni spécifiquement bien. Par exemple il est
vain de se demander s'il faut verser toute la journée de l'eau à
une plante ou s'il ne faut jamais lui donner d'eau. La bonne
question est plutôt : "Quelle quantité d'eau faut-il donner à
une certaine plante, suivant la nature du sol et les conditions
météorologiques ?" Il est vain de se demander si les plats salés
sont meilleurs ou non que les plats sucrés. Il faut se permettre de
manger des deux, ou les mélanger... L'équilibre naît de la complexité
d'une construction simple et esthétique. Cela demande beaucoup de
culture,
de rencontres et de pratique.
Beaucoup de personnes se considèrent "en charge" de quelque
chose. Ils ont la responsabilité de... ils ont le devoir de...
il faut que... Cette charge les mine, tous leurs instants sont
corrodés par le poids de leur responsabilité. A force de se
torturer, de se rendre malades, ils finissent par ne plus être
à même d'assumer leurs obligations. Ils accumulent les erreurs,
tout s'écroule. Si par exemple ils étaient entrepreneurs, leur
entreprise fera faillite. La douleur qu'ils ressentiront sera
immense. Ils considèrent que la faillite confirme qu'ils n'ont
pas été assez responsables, qu'ils n'ont pas été suffisamment
tendus à assumer leur charge. Après la culpabilité vient une
immense sensation de liberté : maintenant ils ne sont plus
responsables, la faillite est derrière eux. Alors ils
recommencent, ils reprennent un travail, une autre charge. Leur
vie est une longue charge entrecoupée de catastrophes suivies
de brèves sensations de liberté. Les bouddhistes prônent une
autre approche. Ils conseillent le "lâcher prise". Le lâcher
prise est le fait de, au moins quelques instants, ne plus se
considérer comme en charge de rien. C'est le fait de s'asseoir
et de nier toute responsabilité, être libre. Il faut le faire
régulièrement : tous les jours ou toutes les semaines, quelques
instants ou quelques semaines. On pense à des choses diverses,
ou on ne pense à rien... Cela permet de décompresser, de
guérir, d'entrevoir des choses nouvelles. Les personnes qui
font cela ne mènent pas leur entreprise à la catastrophe. Ils
ressentent la liberté avant que la faillite n'ait lieu,
ainsi elle n'aura jamais lieu. En caricaturant on peut dire
qu'un bouddhiste ne se sent jamais responsable de rien. Il
reste assis, c'est tout. De temps à autres, sans qu'il sache
trop pourquoi, il se lève pour faire quelque chose. Il cède à
une pulsion naturelle qui le mène à poser un acte, et il le
pose bien.
Le bouddhisme aussi a ses déviances, chez les personnes
imparfaitement instruites. Par exemple certains
deviennent tellement détachés des choses qu'ils
n'ont plus aucun lien avec le monde. Un autre exemple : ceux
qui entendent de façon primaire le précepte comme quoi il ne
faut pas refouler ses pulsions. Ils deviennent des abuseurs
froids. Tout est une question de compétence.
Un bouddhiste recherche l'illumination. C'est le fait,
après avoir appris beaucoup de choses, après avoir fait
beaucoup d'expériences et après avoir ressentit ce que l'on a
en soi, de savoir les choses. Un illuminé perçoit les
situations et sait instinctivement ce qu'il doit faire. On le
reconnaît au fait
que tout son visage est un grand sourire calme. Une personne
donnée peut être illuminée pour certaines choses et pas pour
d'autres. L'expression de la culture française qui correspond
le mieux est "il a le chic".
On peut reconnaître un bouddhiste au fait qu'il ne se laisse pas
trop tracasser par les petites contingences de la vie.
Il a un certain détachement vis à vis des choses. Il fait ce
qu'il a à faire.
Un bouddhiste atteint le stade de l'impassibilité. C'est par
exemple le fait de ne pas être broyé d'envie de saisir une
liasse de billets que l'on vient de trouver. Ou le fait de ne pas
fondre en lamentations en découvrant un massacre. Ce qui
n'empêche pas d'amener la liasse au bureau de police, ni de
partir à la recherche des auteurs du massacre pour les mettre
méthodiquement hors d'état de nuire. L'impassibilité peut être
atteinte lorsqu'on a une conscience bien construite de ce que
l'on est, des capacités qu'on a, de qui on est.
Un bouddhiste est sujet à l'émerveillement. C'est la
faculté de pouvoir, comme un enfant, observer les choses de la
vie, s'en étonner.
Bouddha a résumé ainsi son enseignement : "J'enseigne comment
souffrir et comment sortir de la souffrance.".
La compassion est une vertu cardinale du bouddhisme. C'est le
fait de ressentir ce que ressentent les autres, comme si vous
le viviez vous-même. Joies, douleurs, angoisses, états d'âmes...
Par extension, c'est le fait de ressentir quels sont les rêves,
les espoirs et les besoins des autres.
On devient capable de compassion au terme d'un long apprentissage.
Il faut avoir connu soi-même la joie, la douleur, les angoisses...
Avoir soi-même rêvé et espéré.
Il faut avoir beaucoup vécu avec d'autres êtres humains et avec
des animaux. Il faut que votre cerveau devienne capable
de tirer des informations des moindres gestes d'une personne :
de son timbre de voix, de sa respiration, d'un faible mouvement
de la tête, d'un infime mouvement des sourcils... Il faut
se renseigner sur les gens, apprendre leur histoire, les
écouter parler. La compassion
n'est pas le fait de comprendre l'état d'esprit de l'autre
(ce qui est déjà très bien), c'est le fait de ressentir la
même chose que lui, dans vos tripes, comme si vous étiez lui.
S'il a l'esprit obscursi, vous vous sentirez lourd, l'esprit
obscursi. En même temps le
bouddhisme vous enjoint à ne pas vous prendre pour l'autre,
à garder votre identité propre. L'égoïsme est aussi une
vertu cardinale... c'est ainsi que vous aiderez le mieux
l'autre, que vous lui apporterez le plus de choses.
Si par exemple une personne est découragée et
insensible aux choses, ce n'est pas en devenant vous aussi
morne et insensible que vous pourrez faire quelque
chose pour elle. Au contraire, vous chasserez vigoureusement
cet état d'esprit de votre tête et vous lui communiquerez
cette attitude dynamique.
Le bouddhisme enseigne à accepter le fait que toute chose
va disparaître un jour. Que ce soit en un éclair ou au fil des
siècles. Que ce soit après quelques secondes de vie ou après des
milliers d'années.
Les bouddhiste parlent de "petits maîtres". Un petit maître est tout
chose, minérale, végétale, animale ou philosophique qui vous apprend
quelque chose sans le faire exprès.
Rien n'étant parfait, le bouddhisme a aussi ses déviances. Par exemple
certains adeptes mal formés poussent la notion de détachement trop
loin. Ils deviennent des personnes froides, insensibles à autrui. Ils
se permettront même parfois de tuer ou de violer. Ce sont des
psychopathes qui croient trouver une légitimité dans le bouddhisme. Un
autre problème est qu'à force de discourir du fait que toute chose est
périssable et la douleur inévitable, certains bouddhistes finissent par
vous offrir des bonbons, euh, non, pardon : ils finissent par devenir
pessimistes. Ils ne font plus rien de mal parce qu'il ne font plus rien
du tout. Ils perdent le dynamisme qui fait le jus de l'espèce humaine.