J'ai longtemps cru que les sacrifices humains étaient des actes
immondes, propres aux populations arriérées. On sacrifie un individu
par bêtise superstitieuse ou pour raison politique... On fait couler le
sang pour impressionner la populace, pour lui donner des émotions... Je
ne suis à
présent plus si convaincu que le sacrifice humain soit un acte de
stricte sauvagerie. Tout d'abord, beaucoup de tribus dites sauvages ne
feraient jamais une chose pareille. Elles tiennent trop affectueusement
à chacun de leurs membres. Ensuite, certaines personnes se suicident.
On peut assimiler cela à un sacrifice humain volontaire. Le propos est
douteux mais je trouve que le cérémonial dont se sont entourés certains
suicidés rappelle les fastes des sacrifices humains que l'on reproche
aux premières civilisations. On croit qu'une personne qui se suicide
est désespérée et met fin à sa douleur. Oui... mais pas si simple...
des
intellectuels qui ont été tentés de se suicider racontent qu'il
sentaient un véritable appel de la mort. La mort est séductrice. Dans
certains cas, ces personnes n'avaient même aucune raison objective de
se suicider, elles n'étaient pas désespérées. Il y a dans le cerveau
humain un mécanisme qui à un moment donné rend la mort chaude et
joyeuse, presque sereine.
Nous sommes les animaux de la création les doués pour apprendre et nous
adapter à toutes circonstances. Un humain peut parfois changer
radicalement de
mode de vie en quelques heures, tout en développant des réflexes
spécialisés extrêmement performants pour sa routine de tous les jours.
Ces capacités ahurissantes se sont développées en seulement quelques
millions d'années. C'est extrêmement court. J'ai l'impression que le
cerveau
humain est encore à l'état d'ébauche, de prototype. Nous sommes bourrés
de bogues et de dysfonctionnement mais les capacités globales sont à ce
point fabuleuses que nous avons survécu malgré tout. Nous étions
condamnés à disparaître ou à dominer la planète. Un élément clé de
notre capacité d'adaptation est la souffrance causée par les remords et
les frustrations. Un humain névrosé souffre de ne pas être devenu ce
dont il rêvait, tout comme une personne qui se sent coupable souffre de
ne pas avoir fait ce qu'elle croyait devoir faire. En toute généralité,
on souffre d'être dans des circonstances qui ne conviennent
subjectivement pas, que cela soit organisé par soi-même ou par autrui.
La souffrance n'existe que parce qu'elle doit entraîner une réaction.
Elle pousse l'individu à progresser, à changer. Le changement en
question dépendra
des circonstances et des individus. Parfois une personne guérira de sa
névrose en renonçant à devenir ce dont elle rêvait. On
arrête de souffrir quand on a résolu son problème. Une personne tombée
dans une crevasse arrête d'angoisser quand elle a trouvé le moyen
d'assembler une corde et quelque chose qui peut tenir lieu de grappin.
La solution la plus complexe à réaliser consiste à se changer soi-même.
C'est aussi la solution la plus prometteuse. On se transmute en
quelque chose de différent, de mieux adapté. Se transformer, c'est
faire disparaître une partie de ce qu'on était avant. C'est tuer ce
qu'on était
avant, symboliquement parlant. Renoncer à ce qu'on était est une
souffrance. On le fera si la souffrance que l'on subit est plus forte.
Une fois la décision prise, une fois la mort symbolique acceptée, on se
sent tout de suite mieux, voire on se sent même très bien. Quand une
personne est harcelée de partout, quand elle ne s'en sort plus et tombe
dans une profonde détresse, je crois qu'elle peut développer
l'impression que sa mort physique, sa véritable mort, est la solution.
Cette confusion entre la mort symbolique et la mort physique est
surprenante. Le suicide semble alors une porte qui mène vers la
satisfaction des aspirations de la personne. Elle a l'impression
qu'elle va obtenir ce qu'elle désire en se suicidant.
Je ne connais pas les raisons de ce mécanisme idiot. Est-ce purement un
défaut de construction du cerveau ou bien
l'évolution a-t-elle permis l'émergence de ce mécanisme parce qu'il a
une utilité quelconque ? A certaines époques récentes en Europe ou
dans le Japon Médiéval, une personne qui échoue dans ses ambitions
pouvait
se suicider. Elle rachetait son honneur, disait-on. La personne
a-t-elle l'impression d'obtenir au travers de son suicide ce qu'elle a
raté de son vivant ? Est-il utile à société que ceux qui échouent
disparaissent ? Je ne sais pas exactement ce qu'il faut penser
scientifiquement et moralement de cela mais je crois que c'est
profondément en nous et que nous devons apprendre à composer avec. La
vague de suicides après
le suicide d'une personnalité donne l'impression qu'en quelque sorte
elle a "montré le chemin". Nous devons nous méfier de ce
mécanisme parce qu'il est un puissant levier pour nous
manipuler. Un dresseur se contente souvent de développer chez l'animal
un réflexe naturel. Je suppose que les gourous qui mènent des personnes
à commettre des attentats suicide les entretiennent dans une atmosphère
de désespoir, en les focalisant sur l'oppression de l'ennemi supposé.
Ils font miroiter ce chemin vers un paradis halluciné. Pour leur armée
les gaulois avaient développé une religion qui
promettait une vie paradisiaque sur une île merveilleuse, après une
mort valeureuse au combat. Les gaulois étaient des guerriers
impressionnants mais passé l'effet de surprise et la terreur des
premières attaques, les romains ont appris à les laisser venir
s'embrocher...
Dans une tribu, l'entraide est un fondement. Chaque membre de la tribu
est important. On se serre les uns contre les autres, pour se protéger
de la Nature et des tribus ennemies. On trouve son réconfort dans la
tribu. Si les chefs du village sont mauvais, on peut changer de
village (c'est la démocratie externe : on vote avec ses pieds).
Dans une civilisation primitive, quand on commence à construire des
ville et des édifices, la donne change. Les individus sont davantage
en concurrence. Les personnes que vous côtoyez dans les rues et dans
les temples sont à la fois vos ennemis et des alliés potentiels. Il n'y
a qu'une seule ville. Quand bien-même il y en aurait d'autres, elles
sont aussi dures. Le pouvoir est une dictature. La pression est énorme
sur les individus. Il y a sans doute un désespoir général de la
population au sein d'une ville primitive. Quand les temps sont durs, il
doit y avoir beaucoup de suicides... Dans cette atmosphère, si le
pouvoir prend un individu en particulier et "le suicide", cela ne doit
pas être vu comme un meurtre ou une exécution mais comme un privilège.
"Suicider" une personne en grande cérémonie permet peut-être d'éviter
que d'autres se suicident. Il part à leur place... On doit considérer
le sacrifié comme un élu.
Organiser cette cérémonie assoit le pouvoir des chefs et des prêtres.
Ils s'affirment en gardiens des portes qui mènent au bonheur. Pour le
sacrifié, l'autorité des prêtres et le cérémonial garantissent le
succès de son "voyage" et témoignent de l'importance qui lui est
donné... La victime part avec les aspirations et les bons voeux de
tous, parfois chargée de messages pour les divinités. A priori il se
passe exactement l'inverse lors de l'exécution publique d'une
"sorcière" ou d'un "hérétique". La victime n'est pas consentante et
elle part chargée de la haine et des frustrations de la population. Je
crois que fondamentalement ces deux extrêmes se rejoignent. La sainte
inquisition exécutait ses proies "pour leur bien" et les populations
étaient calmées après. Quand les victimes ne sont plus consentantes,
c'est que la civilisation est en progrès. La population elle-même
acceptera de moins en moins bien les exécutions. Il deviendra de plus
en plus difficile aux superstitieux assoiffés de pouvoir d'organiser
des
exécutions publiques. Ils devront déployer des stratagèmes et des
subterfuges de plus en plus complexes et se contenter de victimes moins
valorisantes.
S'il n'y avait pas la peur de souffrir,
beaucoup de personnes se suicideraient tout de suite. Cette peur est un
blocage pour ceux dont le désespoir n'est pas trop profond. Elle est
également utilisée par les gourous. Une connaissance s'était persuadée
que si l'on vit en obéissant à la religion, on aura une mort douce.
Tandis que si l'on vit en désobéissant, on souffrira atrocement le jour
venu. Fort de cette superstition et conscient de cette peur enfouie en
chacun, il essayait d'effrayer ses interlocuteurs. Il se présentait
comme la personne à même de leur enseigner la bonne
religion...
On aurait dit un enfant infect qui a trouvé une arme par terre et qui
court vers une foule en jouissant à l'idée que tous vont le craindre et
le respecter. Il n'y a qu'un seul remède à cette peur : mourir
soutenu par une personne aimante. C'est peut-être pour cette raison que
les enfants ont de meilleurs résultats scolaires quand ils reçoivent de
la tendresse. Cela leur permet de mieux mourir tous les jours pour
s'adapter à l'évolution des cours. Certains parents croient que
s'occuper d'un enfant consiste à le menacer s'il ne ramène pas de bons
résultats scolaires. D'autres croient qu'un enfant est intrinsèquement
génial et qu'il suffit de le laisser vivre comme une plante pour qu'il
s'épanouisse. Donner de la tendresse à un enfant, c'est lui prêter
votre beau cerveau d'adulte tous les jours. Parfois ce prêt consiste à
lui interdire des choses que vous vous interdiriez à vous-mêmes si vous
aviez son âge,
parfois lui apprendre des choses qu'il n'aurait pas apprises par
lui-même, parfois simplement jouer à ses jeux, parfois ne rien faire
mais ensemble... Si vous lui prêtez votre cerveau, il prendra en lui
une partie de vos motivations, par osmose. Par exemple l'idée que
l'école c'est important. Faire ses devoirs à sa place, ce n'est pas lui
prêter votre cerveau. Pendant que vous faites les devoirs vos cerveaux
ne sont pas en communication. Prendre le temps de lui expliquer les
devoirs, par contre, est un prêt de cerveau fort utile.
Le suicide d'un jeune est sans doute particulièrement dur pour sa
famille parce qu'elle sent qu'il ne l'a pas considérée comme une
tribu accueillante où il aurait pu venir se réfugier. D'autres familles
affirment voir les choses de façon opposée... le jeune qui a refusé de
se plier à des règles s'entend dire "on aurait préféré que tu sois
mort(e) !"
Dans la traite des esclaves, un élément fort est le
suicide des individus capturés. Les méthodes employées font froid dans
le dos, comme se gaver de terre pour déclencher une infection
généralisée. Se suicider, c'est refuser l'esclavage. On se
suicide quand on a compris qu'il est impossible de s'échapper. Cela
devient la seule porte pour rejoindre ceux qu'on aime, ceux qui vous
connaissent et vous comprennent. Tout au moins en
a-t-on l'impression au fond du désespoir. C'est la dernière chose
que l'on peut se donner à soi-même, la dernière tendresse. La mort des
individus capturés fait partie du métier de marchand
d'esclaves. Avant d'embarquer la "marchandise" sur les bateaux de
transport, certains marchands les enchaînaient pendant quelques jours
en plein air, exposés au soleil et aux intempéries. Ceux qui mourraient
n'auraient de toute façon pas supporté la traversée... et ils auraient
pu
développer des maladies qui auraient contaminé les autres. Quand un
individus capturé se suicidait, je suppose que les marchands
considéraient qu'il n'était de toute façon pas viable pour l'esclavage.
Il aurait posé
des problèmes... Je suppose que dans certains manuels de la traite des
esclaves on trouve des conseils à ce propos, comme empêcher un esclave
de se suicider dans tel cas, par contre laisser faire dans tel autre
cas... Les vieux routards devaient se moquer des débutants qui
essayaient de garder un maximum d'individus en vie. Le métier, cela
s'apprend... A mon avis, on devait interdire le suicide aux esclaves
qui avaient déjà survécu un certain temps, qui devenaient rentables.
Ainsi qu'aux individus nés en esclavage.
En Afrique les marchands d'esclaves avaient appris à ne pas perdre leur
temps à s'attaquer à certaines tribus. Les personnes de
ces tribus se laissaient mourir en captivité, en quelques jours,
inexorablement. Ce n'était pas un acte de revendication ou une
stratégie quelconque. Ils ne se suicidaient pas par un acte précis.
Simplement ils restaient prostrés et ne mangeaient pas. Ils
s'éteignaient...
Un homme libre est une personne qui choisit, donc qui change. Un
esclave n'a plus de choix à faire. Il obéit à un maître. Pour une
personne qui accepte l'esclavage, ce dernier changement, la vie peut
devenir un long fleuve tranquille. Si le maître est raisonnablement
humain et si on accepte sa condition, tout ira bien... L'abandon du
statut d'homme libre implique de renoncer à sa famille. Les marchands
séparaient les familles. Les propriétaires revendaient des esclaves
nés dans leurs exploitations. Quand des lois sont votées par la
métropole
pour réguler puis interdire la séparation des familles, cela annonce la
fin de l'esclavage. Un propriétaire qui n'est pas assez fort pour
séparer les familles perd son statut. S'il se laisse attraper par
l'émotion que les esclaves ont des sentiments familiaux, il est perdu.
Un endoctrinement existe donc pour se persuader
que les esclaves ne sont pas des humains, ni même des animaux. Même
une poule ou une jument tient à ses petits... Un esclave est un outil.
Un outil jetable, éminemment remplaçable... qui n'a donc
aucun moyen de revendiquer quoi que ce soit. On retrouve cet
endoctrinement encore de nos jours chez des descendants de
coloniaux.
Si l'on traduit littéralement certains prénoms musulmans, ils
signifient "Esclave de Dieu". Il ne s'agit pas d'une forme religieuse
d'esclavagisme... Etre l'esclave de Dieu, c'est s'intégrer à l'oeuvre
de
Dieu, donc à la vie. C'est n'être l'esclave de personne d'autre : ni du
diable tentateur, ni d'un maître humain. Cet état d'esprit est à
rapprocher de l'idéal américain qui veut que l'individu soit autonome,
libre et instruit, tout en étant un protecteur de sa communauté. On
s'étonne de voir les israéliens et les palestiniens se déchirer
alors qu'il y a tant de valeurs communes à leurs religions. Le
paradoxe est le même dans l'affrontement larvé entre les USA et
les pays musulmans. Ils sont beaucoup plus proches l'un de l'autre
qu'ils ne le croient. C'est peut-être ce qui a contribué à les
pousser à s'affronter... Ils ont les mêmes bases, tout en
ayant fait des choix de vie superficiels différents. Ils se
reconnaissent sans s'admettre... Si les américains et les musulmans
avaient un
niveau culturel plus élevé ils auraient pu accepter leur attirance
réciproque et entamer un dialogue constructif. Revenons à l'esclavage.
Dans le même esprit, une
personne amoureuse peut ressentir un bonheur immense à se sentir
l'esclave de l'être aimé. Cela veut dire qu'elle fait le choix supposé
définitif de se consacrer à elle. Cette émotion est comparable à celle
que ressent un musulman qui comprend sa religion et qui "s'approche de
Dieu". Nul délire religieux dans mon propos : ce ne sont là que les
instincts et les réflexes humains naturels. Nous sommes faits pour
tomber amoureux, nous sommes faits pour tenir à notre communauté...
Cela s'accompagne de sentiments forts, d'émotions et de choix...
Certains en parleront avec les mots de la religion, d'autres avec des
symphonies laïques... peu importe. Chez un esclave aussi ce sentiment
de dévouement peut exister. Il est connu dans
l'Antiquité que certains esclaves avaient un amour et un dévouement
sans faille pour leurs maîtres. En
général ce type d'esclave était privilégié, choyé en retour... On
retrouve cela chez certains domestiques des 18ème et 19ème siècles
européens. Notez que ce que j'écris ci-dessus à propos de l'Islam ne
concerne que les vrais musulmans. Pour un intégriste, par contre, un
croyant est sensé être soumis au commandement direct de Dieu. C'est en
parfaite contradiction avec la parole de Mahomet (la Paix sur lui). Il
a bien spécifié qu'il n'y aurait plus de prophètes après lui, donc plus
de lien direct avec Dieu. L'intention diabolique d'un intégriste
-quelle que soit sa religion- est de réduire son prochain en esclavage,
donc l'éloigner de Dieu. Le fondamentalisme est parfois confondu avec
l'intégrisme mais est en réalité très différent. Le fondamentalisme
consiste à reproduire le mode de vie et de pensée d'une certaine
époque. Pour des juifs, par exemple, cela consistera à reproduire le
mode de vie des tribus juives originelles ou de certaines périodes clé
de l'histoire juive. Pour des scouts cela consistera à vivre quelques
jours suivant les règles énoncées par Baden Powell... C'est un
excellent exercice historique, culturel, philosophique, religieux et
identitaire. Cela vous rapproche de vous-mêmes, des autres et de vos
ancêtres, donc de Dieu. Si on vit de façon fondamentaliste en
permanence, sans plus aucune remise en question, cela devient de
l'intégrisme...
Je crois que la majorité des gamins qui consomment régulièrement de la
drogue le font parce que ces produits sont anxyolitiques. Ils souffrent
des pressions que l'on exerce sur eux et qu'ils n'arrivent pas à
satisfaire. On leur fait sentir en permanence qu'ils ne font pas ce qui
est nécessaire, sans même leur donner les moyens de s'adapter, sans se
demander s'ils pourraient s'adapter. Ils sont comme les esclaves
parqués en plein air. Survivra, survivra pas... peu importe. Il y aura
du déchet, le reste se montrera coopératif... La drogue permet de tenir
le coup. Elle permet aussi de se sentir à l'aise en compagnie
d'individus que l'on ne connaît pas réellement. Ils ne sont pas de
votre clan mais en prenant de la drogue vous ressentez le bien-être et
l'ouverture que l'on ressent quand on rencontre un membre de son clan.
Vous n'avez pas de clan... vous n'en avez jamais eu... vous êtes né en
esclavage... mais il y a ce besoin en vous de
frayer. Vous ne le comprenez pas, parce qu'on ne vous a rien expliqué.
Il n'empêche que c'est une pression importante sur vos choix... Les
drogues qui permettent cela, comme l'alcool où la cigarette, sont en
général tolérées dans les civilisations primitives. Elles
détruisent l'individu mais elles le tiennent calme et favorisent son
exploitation. Pour certains, la drogue a un rôle plus complexe.
Elle est un instrument pour sonder l'esprit. Elle permet de découvrir
des émotions inconnue ou de voir les choses sous des perspectives
différentes. Elle est un moteur d'intelligence et de liberté, donc
un aliment des choix. Dans les sociétés tribales cette fonction des
drogues peut être
relativement bien comprise et gérée correctement. Dans les
civilisations primitives, par contre, il règne une confusion
meurtrière.
Des jeunes prennent de la drogue comme "médicament à changer sans
souffrance". Cela n'a pas de sens. Ils se retrouvent dans un cycle,
à reprendre sans cesse de la drogue, sans même être
physiquement dépendants du produit. Ils vivent dans le mirage qu'après
la prochaine dose les choses vont aller mieux, les bons changements se
seront opérés... Insister sur le fait que la drogue peut les tuer n'est
pas forcément une bonne idée, puisque l'idée de mort est justement
associée à l'idée de changement, d'adaptation, de renaissance
amélioré... Les éducateurs ne comprennent pas pourquoi ils sont en
rage contre les étudiants qui se droguent, contre ce produit qui leur
fait la concurrence ou qui les empêche d'exercer des chantages.
Toutes ces personnes sont victimes de mécanismes simplement humains
mais qu'elles ne comprennent pas, qu'elles subissent. Il s'ensuit des
heurts et des pertes inutiles, des gaspillages monstrueux et des décès.
Le rôle d'un véritable enseignement est
de faire comprendre ces choses aux jeunes. Alors ils peuvent
faire des choix plus intelligents et éviter de se faire détruire par la
civilisation et par leurs propres instincts mal assumés.
Une amie m'a expliqué : "j'ai réussi a arrêter [la drogue] car j'ai des
amis autour de moi qui m'ont aidée, j'ai trouvé une nouvelle famille en
quelque sorte, de vrais amis qui ont été là dans les moment difficiles.
Et surtout un homme qui a cru en moi, qui ne m'a pas jugée, qui m'a
écoutée et qui m'a soutenue. Je pense que c'est ce tout qui a fait que
je m'en suis sortie." Dans un registre plus sombre, le piège tendu aux
jeunes par les
mafias et les groupes de la rue est de leur faire croire qu'ils entrent
dans une famille, plus
humaine que leurs propres familles ou que les administrations. Aussi
nuisible soit-elle, cette pseudo-famille tient parfois réellement ses
promesses. Un homme de main qui respecte l'omerta sera mieux protégé en
prison par sa "famille" que par l'administration pénitentiaire... On
dit que la mafia recrute en prison. Ce recrutement se fait en grande
partie en offrant aux personnes une sorte d'humanité, un environnement
qui semble digne d'allégeance pour un esprit simple. L'héroïne fait des
ravages en prison. D'après les critères moraux de notre civilisation,
qu'est-ce qui est préférable : qu'une personne entre dans la mafia ou
qu'elle soit détruite par une toxicomanie ?
Plusieurs phénomènes neurologiques contribuent à la superstition que la
mort est un passage. Quand les fonctions vitales sont sévèrement
endommagées et que le cerveau est en train de mourir, l'état de choc
procure une sorte d'anesthésie et de bien-être. Les neurones de la
vision meurent l'une après l'autre et donnent l'impression visuelle que
l'on se trouve dans un tunnel. Quand le cerveau cesse de gérer la
notion de temps, on peut avoir une impression d'éternité. Comme le
cerveau est isolé du monde extérieur, il génère ses propres images en
se servant des souvenirs. On peut alors croire revoir des parents
décédés. Ce phénomène survient également dans une circonstance moins
dangereuse : quand on prend un produit qui coupe le cerveau des sens.
Une personne qui prend de la kétamine ou de l'iboga, par exemple,
empêche son cerveau de recevoir les informations des oreilles, des
yeux, du toucher... Ce phénomène est utilisé dans certaines religions
africaines, qui utilisent l'iboga pour faire soi-disant visiter "le
village des ancêtres" à leurs adeptes. (L'iboga serait un outil
efficace dans le traitement contre les toxicomanies...) Tous ces
phénomènes : l'euphorie de l'anesthésie, le tunnel, la perte de la
notion du temps, l'impression de voir des personnes décédées... font
que des personnes qui ont survécu disent en toute sincérité que la mort
semble être un passage et qu'il y a un paradis paisible au-delà, où
séjournent les ancêtres et les amis décédés.